médecine/sciences> Pendant près d'un siècle, la théorie des mutations somatiques (somatic mutation theory) a été la théorie dominante utilisée pour expliquer la cancérogenèse. Selon cette théorie, l'accumulation des mutations dans le génome d'une cellule normale unique est responsable des transformations d'une telle cellule en un néo-plasme. Il y est implicitement sous-entendu que l'état par défaut des cellules des métazoaires est la quiescence, et que le cancer est une maladie génétique et moléculaire de la cellule. À partir des leçons que nous avons tirées de nos propres recherches sur le contrôle de la prolifé-ration cellulaire, nous avons adopté en 1999 une perspective organiciste, et proposé une théo-rie concurrente, celle du champ d'organisation tissulaire (tissue organization field theory). En opposition à la théorie des mutations somatiques, la théorie du champ d'organisation tissulaire défend les notions selon lesquelles (1) le cancer est une maladie des tissus, où les cancé-rigènes (directement) et les mutations dans la lignée germinale (indirectement) peuvent altérer les interactions normales entre le stroma et l'épi-thélium adjacent, (2) l'état par défaut de toutes les cellules est la prolifération et la motilité, prémisse compatible avec la théorie de l'évolu-tion. Les arguments théoriques et les résultats expérimentaux sont présentés afin de comparer la manière dont les deux théories proposent des principes organisationnels capables d'expliquer objectivement la cancérogenèse. <
Les préliminaires historiques et épistémologiquesConformément au dogme central de la biologie moléculaire, l'ADN « code » les protéines, et non pas les phénotypes. Néanmoins, l'affirmation grotesque de l'existence d'un lien entre un gène unique et l'homosexualité, l'infidélité ou d'autres traits est encore fréquemment posée dans des journaux scientifiques. De leur côté, les médias renforcent l'idée selon laquelle nous sommes inexorablement déterminés par nos gènes, et par ceux-ci exclusivement. Le déterminisme génétique et le réduc-tionnisme centré sur les gènes ont dominé la pensée biologique depuis 1945, année de la publication du livre d'E. Schrödinger, What is Life, puis la publication en 1971 de l'ouvrage de Jacques Monod, Le Hasard et la nécessité. Cette perspective place le gène dans le « siège du pilote » métaphorique en conceptualisant le développement embryonnaire comme le simple déploiement d'un programme écrit dans nos gènes. Ce dogme ignore des différences incommensurables entre l'équipement génétique d'un organisme et sa complexité phénotypique. Par exemple, le nombre de gènes dans le génome est trop faible pour prédéterminer le développement de l'embryon jusqu'à l'âge adulte. En outre, il n'y a pas de correspondance directe entre le « gène » sur la molécule d'ADN, les brins d'ARN produits à partir de celui-ci et les protéines qui en résultent [3]. En conséquence, ni le réductionnisme ni le déterminisme génétique ne pourront rendre compte des faits empiriques. L'organicisme, qui propose une approche intégrée et...