Depuis des décennies, les cliniciens se sont intéressés à l’utilisation du Rorschach dans le diagnostic de la psychopathie. Pourtant, c’est seulement depuis une quinzaine d’années que ce type d’investigation est devenue vraiment pertinente à travers des recherches valides et fiables, grâce aux progrès réalisés dans l’évaluation de la psychopathie et la technologie du Rorschach. En 1984, armés de cette “nouvelle” technologie, nous avons entamé nos recherches sur les personnalités antisociales et psychopathiques. Utilisant le Trouble de la Personnalité Antisociale (TPA) et la Psychopathie comme mesures indépendantes, et les variables Rorschach comme mesures dépendantes, nous avons tenté de comprendre le continuum antisocial d’un point de vue psychodynamique et développemental, tout en tenant compte des aspects psychobiologiques, psychodynamiques et de style cognitif. Nous avons posé plusieurs questions: le Rorschach peut-il “établir la carte” du fonctionnement de la personnalité et de la structure intrapsychique des individus présentant des Troubles de la Conduite (TC) et des TPA, et est-ce que cette “carte” Rorschach validerait de manière empirique les modèles théoriques tels que la pathologie de l’attachement, l’absence d’anxiété, l’agressivité, et l’aspect grandiose qui sont associés à la psychopathie? Compte tenu des différences parmi les délinquants, le Rorschach saurait-il discriminer entre groupes TC et TPA d’après leurs niveaux de pathologie? Et encore, le Rorschach pouvait-il discriminer entre les TPA et les autres troubles de personnalité de Type B? Nous avons obtenu un haut degré de concordance entre les données empiriques et la théorie. Nous avons trouvé des déficits de l’attachement (T = 0) chez 88% des troubles de comportement chez les enfants, 86% des adolescents TC, 71% des femmes TCA, 79% des hommes TCA, 91% des hommes psychopathes et 70% des hommes TCA schizophrènes. Les résultats du Y sont congruents avec le passage à l’acte considéré comme une défense contre l’angoisse dans les groupes d’enfants et adolescents TC. Contrairement aux enfants non consultants et aux adultes psychopathes, les enfants TC s’évaluent de manière négative lorsqu’ils se comparent aux autres (EGO < 0,33 = 72%). Les adolescents TC diffèrent aussi des adolescents dysthymiques et non consultants: ils montrent moins de capacité d’attachement, sont moins anxieux, et manifestent moins d’intérêt pour les autres en tant que des objets entiers et humains réels. Les adolescents TC psychopathes présentent les même déficits. Les psychopathes TCA adultes de sexe masculin montrent moins de capacité d’attachement, éprouve moins d’anxiété et sont plus grandioses que les TCA non psychopathes. Les psychopathes se montrent tout aussi grandiose que les hommes aux Troubles de Personnalité Narcissique non hospitalisés, tout aussi “limites” que les hommes aux Troubles de la Personnalité Limite, cependant qu’ils sont moins anxieux et moins attachés. Les femmes adultes antisociales, bien qu’elles manifestent plus d’affects dysphoriques que les hommes TCA psychopathes, montrent moins de capacité d’attachement et d’affect que les femmes aux Troubles de la Personnalité Limite. L’expression de l’aspect grandiose diffère entre hommes psychopathes, enfants TC et femmes TCA, ce qui suggère des différences dans les niveaux de développement et selon le sexe. Bien que le Rorschach ne doive pas être utilisé de manière isolée à des fins de diagnostic psychologique, nos premiers résultats montrent tout l’intérêt qu’il présente pour comprendre la psychologie des personnalités antisociales et psychopathiques. Nos travaux sur le Rorschach constituent aussi un modèle pour l’étude d’autres troubles de personnalité.