La problématique de la "communication des savoirs" s'essouffle en raison sans doute d'une conception sans doute trop restrictive du langage. À la théorie du langageinstrument répond une instrumentalisation des connaissances et une technologisation des sciences. Les connaissances, même archivées dans une encyclopédie, restent une archive de textes décontextualisés ; restituer leur sens, c'est rappeler qu'elles sont des actions oubliées : il faut alors critiquer l'ontologie pour aller vers une théorie de l'action -non seulement formative mais constitutive de l'humain.Le langage est un moment de l'évolution, mais les langues sont des créations historiques. Il n'est pas du tout exclu que les langues humaines soient de part en part artificielles, cumulant des innovations transmises, et par là des expériences archaïques et des « visions du monde ». L'apparition du langage résulte peut-être de la mystérieuse rencontre d'un organe du langage (jusqu'ici introuvable) 1 et d'une pression évolutive, mais plus certainement de la création sociale et de la transmission de systèmes de signes vocaux. Cette création affranchit pour une part les hommes des pressions de l'environnement naturel ; elle institue ou renforce celles de l'entour culturel, le faisant passer du temps darwinien de l'évolution au temps lamarkien de l'histoire. Aussi estimons -nous que les langues échappent à une « explication » de type darwinien. D'une utilisation constatée du langage, le néo-darwinisme a fait une fonction à valeur adaptative, puis de cette fonction une cause. Pour rompre avec ce postulat paresseux qui pérennise l'image du langage instrument, voici un véridique apologue 1 Les chimpanzés disposent des aires de Broca et de Wernicke, avec la même prédominance gauche que chez l'homme. Colloque pluridisciplinaire : « Construction des connaissances et langage dans les disciplines d'enseignement » Bordeaux 2003 2 qui met en scène non pas des abeilles comme la fable de Mandeville, mais des fourmis, si chères aux théoriciens de sociobiologie. Par sa glande postpharingienne, chaque fourmi secrète des hydrocarbures et s'en oint à chaque toilette. Au cours de ses interactions quotidiennes avec les autres fourmis (par léchage ou trophallaxies, notamment), elle échange avec elles des hydrocarbures. Ainsi, son odeur est partagée par la colonie tout entière. En bref, l'odeur coloniale est un composé des odeurs de chacune des fourmis, et chacune en est enduite. Cette odeur évolue historiquement avec les décès et les naissances. Les groupes séparés divergent -de même que les groupes linguistiques. Les fourmis étrangères qui ne portent pas le visa colonial sont exterminées ; celle qui en sont artificiellement enduites sont tolérées. En somme, le visa colonial est une création socio-historique : mélange social d'hydrocarbures individuels, il est le résultat chimique de l'interaction -et tout à la fois le produit et la condition de cette interaction. Le parallèle avec la langue est tentant. Comme le visa colonial, la langue est stabilisée par des échanges quotidi...