La parabole de l'Observatoire ou les limites à l'institutionnalisation d'un « partenariat cognitif » avec les associations

Abstract

Les associations de solidarité, qui avaient fait de leur participation à l’observation sociale une revendication majeure, sont présentes désormais à l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Mais le dispositif institutionnel tend à réduire la portée de cette « conquête ». Le statut sous lequel elles siègent (« personnalités qualifiées ») ainsi que les procédures de recrutement tendent à sérialiser le groupe associatif, à saper la représentativité de ses membres. D’autres phénomènes comme le lieu et le rythme des réunions accentuent l’asymétrie entre ce qui peine à être un « collège » associatif et les représentants des grands organismes de la statistique d’État. De fait, c’est un loyalisme critique qui domine chez les membres associatifs qui n’ont pas fait défection. La critique de l’institution et des savoirs qu’elle produit est le fait de groupes extérieurs. Si bien qu’on peut se demander si la participation à l’Observatoire ne produit pas une conversion institutionnelle de la contestation associative et ne développe pas une forme d’assentiment à la science institutionnelle.

Le travail associatif

“…Même lorsqu'elles mettent l'accent sur des processus émergents, les thèses défendues par ces auteurs restent prudentes et n'aboutissent pas à la mise en évidence d'une identité professionnelle solidement installée. Le plus souvent, ils décrivent une profession « en construction » dont l'identité reste fragile 22 . Nous serions donc face à une situation paradoxale : ces groupes professionnels existent bel et bien et regroupent un nombre conséquent d'individus, mais leurs identités sont fragiles et ils sont faiblement institués, si bien qu'ils apparaissent comme des ensembles flous et incertains.…”

“…Les premiers, animés par « la conviction que l'économie doit être au service de l'homme et que la finalité économique de l'entreprise est 21. L'ensemble des citations qui suivent sont issues de : Lemaître Frédéric, Leparmentier Arnaud, « Les appels de M. Chirac à l'entreprise citoyenne ne séduisent pas les patrons », in Le Monde, 20 juillet 1995. indissociable de sa finalité humaine 22 », préconisent d'« inverser l'équation de base de l'entreprise » en la conduisant à privilégier « le développement des hommes » sur « la rémunération du capital 23 ». Les seconds suggèrent de substituer aux indicateurs gestionnaires et comptables, censés donner une vision tronquée de l'entreprise, d'autres indicateurs relatifs à sa « responsabilité humaine » et à sa « responsabilité sociétale 24 ».…”

“…Soucieux de parler aux financiers un langage qu'ils comprennent, il présente moins le mécénat comme un acte de citoyenneté que comme un levier d'accroissement de la motivation et de la productivité des salariés 26 . Le Pdg de l'enseigne de distribution de produits électroménagers Darty (Philippe Francès), dont l'entreprise est en passe d'être intégrée dans un groupe européen beaucoup plus puissant, voit quant à lui dans le mécénat un moyen de 22 « corriger les exclusions engendrées par [le] progrès 27 » et de réduire, dans le même temps, les risques auxquels s'exposent les multinationales. Il parvient ainsi à convaincre des entreprises publiques (comme la SNCF, la Caisse des dépôts et consignations, Renault), d'autres enseignes de la grande distribution (L'Oréal et Auchan) ou des sociétés partenaires de se joindre à la création, en 1993, d'une Association nationale des entreprises pour l'insertion (ANEI, dite aussi « Fondation pour l'insertion ») qui entend « donner la possibilité aux exclus de réintégrer le monde du travail » en encourageant les entreprises à recourir plus systématiquement aux actions de « traitement social » du chômage mises en place par l'État.…”

“…[…] on a fait le ministre de l'emploi et de la solidarité évidemment, euh, le secrétaire d'État à la Santé, à l'époque c'était Kouchner, donc ça c'était dans le deuxième projet, euh l'Éducation nationale, euh, le Logement, la Culture, et puis, et la Justice. Et on a pas eu le courage d'aller jusqu'aux Finances, parce qu'on fait pas le poids, enfin, moi je ressentais les choses comme ça, on y est pas allé en tout cas, […] on n'est pas allé jusqu'aux finances, je pense qu'on se sentait pas la compétence de discuter chiffres 22 .…”

“…Face à ces contraintes, on aurait évidemment tort de penser que les entreprises associatives n'ont aucune marge de manoeuvre : elles peuvent « créer l'événement » pour promouvoir certaines causes sur l'agenda médiatique et politique 20 (cas du mouvement des « enfants de Don Quichotte » 21 ), revendiquer des financements pluriannuels ou solliciter plusieurs partenaires pour préserver leur indépendance à l'égard des pouvoirs publics. Cependant, ce ne sont pas elles, mais bien les collectivités publiques qui, en dernière instance, définissent les règles du jeu, établissent les cahiers des charges et nomment les représentants légitimes de la « société civile 22 ».…”