La sociologie française et le travail ouvrier : pourquoi l'enquête, sur quoi l'enquête ?
Gwenaële Rot et François VatinJe crois que la grande faiblesse de la sociologie du travail en France réside dans son académisme. Il ne suffit pas de recueillir des « opinions »… il faut partir du travail qui est, ou non, exécuté.(Pierre Naville, interview in L'État des sciences sociales en France, 1986).Lors de la « seconde fondation » après-guerre , de la sociologie française [Chapoulie, 1991], la méthodologie d'enquête est dominée par le modèle américain, même si les antécédents français ne manquent pas, avec la tradition leplaysienne. Les enquêtes sociologiques se multiplient au cours des années 1950 à l'initiative de l'État, mais aussi du monde économique, lesquels éprouvent les nouveaux besoins d'une connaissance des « goûts » (marketing), mais aussi des « opinions » et des « attitudes », qui marquent les comportements politiques et professionnels. Ce marché génère un nouveau corps professionnel, de statut privé ou public, avec le développement des emplois académiques (CNRS, universités) et la multiplication de petits engagements contractuels.C'est en matière de travail industriel que la question de l'enquête de terrain se posa de la façon la plus nette. Il ne suffisait pas en effet, dans ce domaine, de réunir un panel représentatif pour faire passer un questionnaire, selon les méthodes américaines d'enquêtes d'opinion introduites en France par Jean Stoetzel (1910Stoetzel ( -1987. Même si le coeur de l'enquête résidait dans la passation d'un questionnaire destiné à un traitement statistique, cette démarche devait être négociée avec la direction de l'entreprise, le personnel d'encadrement, souvent, aussi, les syndicats. Pour y parvenir, il fallait mener une enquête préalable. Le terrain vécu fournissait aux enquêteurs une perception concrète de la configuration