© École des hautes études en sciences sociales À CASTELSARDO, EN SARDAIGNE-au sein de la petite confrérie de Santa Croce, composée exclusivement d'hommes, tous laïcs-, on chante beaucoup, surtout de la fin de l'automne jusqu'à celle du printemps, et de plus en plus quand qu'on s'approche de Pâques, qui est la période centrale de l'année. Beaucoup, c'est-à-dire presque tous les jours. Dès le mois d'octobre en effet, le prieur de la confrérie (primus inter pares, élu chaque année), se préoccupe activement de la formation de « ses » choeurs : ceux qu'il va choisir-c'est là l'essentiel de sa charge-pour « animer » la Semaine sainte. Tout cela est normal : pour célébrer la résurrection du Christ, les fêtes sont importantes ; elles doivent être belles et demandent chaque année la même attention. Chaque année, c'est le même répertoire que l'on chante, et ce depuis plusieurs siècles. Ce répertoire se compose de trois chants : le Miserere (le psaume 50), le Jesu et le Stabat Mater (dénommé Stabba), qui, des trois, est le plus prestigieux. Tous les chanteurs en connaissent le texte et la musique par coeur. En cours d'année, un chanteur digne de ce nom peut produire entre cinq cents et mille exécutions du Stabba sans se lasser. À dire vrai, il faut être soi-même chanteur pour se rendre à l'évidence : il n'est pas possible de se lasser d'un tel chant. « Nous sommes des "drogués" du Stabba », disent les plus passionnés. Et, depuis quelques années, un néologisme a fait son apparition à Castelsardo, celui de « Stabbadipendenza ». On peut être, en effet, « dépendant » du Stabba, comme d'une drogue. Jusque-là, rien de très surprenant. Les chants sont beaux, les chanteurs aiment les chanter ; ils les chantent. Ils ne peuvent s'en passer, soit ! Cela ne bouleverse pas nos façons de penser la musique : elle suscite de grands engouements, et pas seulement dans les cultures de tradition orale. Disons que Castelsardo constitue un beau terrain pour l'ethnomusicologue.