Résumé Une des questions essentielles concernant la traduction est celle de son rôle dans la constitution des espaces littéraire et intellectuel nationaux. L’exemple des traducteurs français qui exercèrent entre 1885 et 1914, si on l’aborde non pas à travers quelques figures rétrospectivement prestigieuses mais par le biais d’une biographie collective, montre tout d’abord que la traduction, pour l’essentiel méprisée en elle-même et réservée aux prolétaires des lettres, était alors une activité peu différenciée, qui prenait sens dans le cadre de l’importation littéraire, quant à elle essentielle au fonctionnement du champ. Traduire n’était que la part la moins noble d’une activité qui comprenait aussi, pour les mieux dotés des importateurs, la production de l’horizon d’attente des lecteurs, par la préface, l’introduction ou le commentaire, la fabrication de la valeur symbolique des textes étrangers, par la critique et la synthèse plus ou moins savante, et la constitution de réseaux internationaux socialement et symboliquement rémunérateurs. La légitimité des textes traduits ou la massivité des effets de mode donnèrent alors à la traduction des littératures étrangères un rôle central dans la constitution des polarités du champ intellectuel français, dans la définition de ses lignes d’affrontement. Elle fut déterminante pour la percée du mouvement symboliste, résolument internationaliste, mais aussi pour le maintien de la légitimité quasi étatique de la sphère académique, parangon, dans l’importation, d’une posture de xénophobie courtoise qui faisait des traducteurs et des importateurs des bâtisseurs autant que des passeurs de frontières culturelles étanches. Le « nationalisme » maurrassien et barrésien lui-même naquit, avant l’affaire Dreyfus, d’une scission interne à la Jeune France symboliste sur la question de l’importation de l’étranger littéraire, et, ralliés au protectionnisme ou au modérantisme méfiant de l’académisme, les traducteurs-importateurs participèrent eux-mêmes activement à la construction du nationalisme protectionniste qui domina la vie intellectuelle jusqu’à l’orée des années trente.
Résumé La traduction et la publication des œuvres de Gabriele D’Annunzio dans la Revue de Paris et la Revue des Deux Mondes durant la première moitié des années 1890 permet de construire une série d’interrogations sur la négociation auteur-éditeur comme forme de censure. La mutilation du texte (censure fonctionnelle) est la condition d’expression d’un nationalisme littéraire dont la définition recouvre la réalité sociale d’un lectorat socialement situé dans ceux de ces grandes revues « littéraires et politiques », qui s’érigent ainsi en gardiennes des normes esthétiques et morales de la société, tout en construisant un espace littéraire national.
scite is a Brooklyn-based organization that helps researchers better discover and understand research articles through Smart Citations–citations that display the context of the citation and describe whether the article provides supporting or contrasting evidence. scite is used by students and researchers from around the world and is funded in part by the National Science Foundation and the National Institute on Drug Abuse of the National Institutes of Health.