L'idée de ce dossier thématique est née d'un double constat : celui de l'importance prise par le corps en anthropologie ces dernières années et celui de l'évitement de la question de la matérialité du corps dans ces mêmes recherches. Il suffit de porter le regard sur la multiplication et le foisonnement des recherches qui abordent le corps dans les sciences sociales et humaines pour comprendre l'importance prise par ces questions en ce moment. Il ne passe pratiquement pas une semaine sans que ne soient annoncés des projets de colloques, de séminaires, de numéros de revues qui, de près ou de loin, se saisissent du thème 1. Le nombre lui-même de propositions reçues pour ce numéro-plus d'une centaine, dont un grand nombre, d'excellente tenue, rendit leur choix bien difficile-témoigne de l'intérêt renouvelé pour le corps. La diversité des recherches sur ces questions, à l'interface d'autres disciplines, nourrit la réflexion des anthropologues en faisant appel à la sociologie (Sennett, 2001 ; Detrez, 2002), à l'histoire (Schmitt, 2001 ; Farge, 2007), à la philosophie (Marzano, 2002), à l'épistémologie (Andrieu, 2002), comme à la psychologie, à l'esthétique, aux sciences de la communication, aux sciences de l'éducation ou aux sciences du sport, etc. 2 Toutefois, ce foisonnement ne doit pas faire oublier que le corps a longtemps été maintenu hors du champ et des préoccupations de l'ethnologie. Contenu aux extrêmes, corps biologique des médecins d'une part, corps ontologique des philosophes d'autre part, il n'a suscité que récemment les interrogations des anthropologues. Bien sûr, l'existence d'un imposant matériau consacré aux rites physiques (Frazer, 1931), comme la présence d'études ponctuelles anciennes témoignant de l'intérêt des anthropologues pour la signification culturelle des substances corporelles (Mensignac, 1892), obligent à nuancer ce point de vue, et ce d'autant plus que les intuitions fameuses de Mauss (1934) et son essai de systématisation de l'étude des « techniques du corps » ont déjà rejoint le rang des classiques. Cependant, il faut attendre les années 1970 pour que le corps entre véritablement dans les préoccupations des sciences sociales (Boltanski, 1971 ; Le Breton, 1990). Anthropologie des usages sociaux et culturels du corps