L’histoire des sensibilités suscite encore une méfiance persistante, avant tout parce que son projet intellectuel demeure mal identifié, parce que l’historiographie a souvent laissé penser que ses origines s’ancraient uniquement dans la continuité du projet de Lucien Febvre et de l’histoire des mentalités à la française. Or, en vérité, celle-ci n’est autre que la traduction historiographique d’un mouvement philosophique beaucoup plus ample et ancien, né du basculement incarné par Karl Marx, Friedrich Nietzsche et Sigmund Freud, ces penseurs du soupçon, qui nous ont appris à repérer derrière les idées, la raison et la conscience, le rôle des désirs et des appétits, le jeu des pulsions et des sentiments. Rendant ainsi l’homme moins transparent à lui-même, l’historien du sensible vise, outre à restituer l’historicité de notre vie sensible, à réévaluer la part des affects dans la détermination des conduites humaines. Pour ce faire, il s’appuie également sur la riche nébuleuse des savoirs critiques élaborés ensuite, dans l’Allemagne de la première moitié du 20 e siècle, sous les appellations de « psychologie sociale » ou « historique » ou, à la manière nietzschéenne, de « psychologie des profondeurs ».
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L’image traditionnelle d’un XIX e siècle peu guerrier est trompeuse à maints égards. Car l’éclipse des champs de bataille sur le continent après 1815 n’a pas tant éradiqué la guerre qu’elle n’a favorisé la multiplication des expéditions ultramarines européennes et les expériences combattantes exotiques. La culture de l’héroïsme et le poids du modèle militaro-viril faisaient craindre aux vétérans de sortir du cercle de la guerre et à la jeunesse romantique de n’y point entrer. D’où l’importance de relier plus fortement les sorties de guerres napoléoniennes et le déploiement des conquêtes coloniales européennes, françaises en particulier. En liant autrement qu’hier le goût de la guerre et l’appel de l’exotisme, l’âge romantique donna en effet naissance au fameux topos de la « guerre comme voyage ». Et ce dispositif affectif inédit de susciter les vocations coloniales et de soutenir, tout au long du siècle, l’entreprise de conquête. Qu’elle ait été vécue au cœur des forêts vierges, au creux des déserts ou des montagnes reculées, la guerre au loin imprégna ainsi en profondeur l’imaginaire social, nouant durablement, autour de la figure du militaire, héroïsme et exotisme.
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