Cet article propose d’appréhender l’asile politique à travers l’histoire sociale des institutions et des agents qui l’ont mis en œuvre en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’à la fin des années 1970, les officiers de protection ont un profil social, culturel et politique très proche des réfugiés qu’ils reçoivent. Puis, au fil des recrutements et avec la généralisation de l’objectif de maîtrise des flux migratoires, ils perdent de leur autonomie, au point de devenir un segment parmi d’autres de l’administration des étrangers. L’histoire du rapport entre l’État et les étrangers peut ainsi se lire à travers la relation entre les priorités politiques des gouvernants et le profil social des agents recrutés pour les appliquer.
L’idée selon laquelle les étrangers qui sollicitaient l’asile jusqu’au milieu des années soixante-dix étaient de « vrais » réfugiés, à la différence des demandeurs d’asile d’après la fermeture des frontières à l’immigration de travail en 1974, est aujourd’hui largement répandue. Contre cette idée d’un « détournement » de la procédure d’asile par les demandeurs, d’autres défendent, au contraire, celle d’un détournement de la convention de Genève par les institutions. Dans un cas comme dans l’autre, c’est faire l’impasse sur la nature éminemment construite de la qualité de réfugié et éminemment politique de la convention.
Entretien -La notion de réfugié serait-elle neutre ? Non, pour la sociologue Karen Akoka, qui se penche sur son utilisation en France. La définition et les procédures d'octroi du statut n'ont cessé d'évoluer au gré de considérations politiques. Immanquablement, une politique migratoire restrictive se reflète sur le droit d'asile. Parler de « crise », ou du « problème de l'immigration », en dit plus long sur nous que sur la réalité.Est-il juste de parler aujourd'hui de « crise des migrants » ? Karen Akoka -Parler d'une crise des migrants en Europe voudrait dire qu'on serait face à un afflux inédit qui mettrait en danger les économies et les équilibres des pays du continent. Tous ceux qui travaillent sérieusement sur ces questions savent que l'Europe n'est pas dans un moment à ce point inédit et difficile (voir encadré). Surtout, les chiffres ne disent rien en soi. Pourquoi, ou par rapport à quoi, 1 million d'entrées serait beaucoup ? C'est notre usage des chiffres, la manière dont on les construit, dont on les sélectionne, dont on les mobilise, dont on les interprète qui est parlant. Et cela en dit long sur notre regard, sur notre représentation d'un fait social qui a existé de tout temps. C'est nous qui labellisons l'immigration comme un problème. Les uns pensent qu'on doit, malgré tout, prendre notre part du « fardeau », les autres qu'on ne peut pas l'assumer. Mais des deux côtés, on part d'un consensus largement questionnable : l'immigration pèse et pose problème. Les images diffusées par les médias viennent alimenter ces représentations en se focalisant sur le côté spectaculaire des arrivées -artificiellement concentrées dans les mêmes espaces cloisonnés qui fonctionnent comme des goulots d'étranglements -et en véhiculant l'idée que ce qui se passe à ces petites échelles est représentatif de l'échelle européenne tout entière.Les propos alarmistes sur l'augmentation des demandes d'asile dans l'UE à 28 (de 500 000 en 2014 à 1 200 000 en 2016) omettent de rappeler que des tendances similaires ont été atteintes au début des années 1990 suite aux guerres en ex-Yougoslavie avec 700 000 demandes d'asile enregistrées en 1992 dans une UE alors à 15. Le nombre total de demandes déposées en 2016 ne représente quant à lui que 0,24 % de ses 508 millions 1/9
4 Pour plus de précisions, voir la lettre datée du 10 juin 2014 et rédigée par les trois protagonistes, « Letter of recognized refugees to UNHCR Representative for Southern Europe », [en ligne]. URL : https://kisa.org.cy/10-06-2014-letter-of-recognized-refugees-tounhcr-representative-for-southern-europe/
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