Les Établissements français de l’Océanie sont un cas empiriquement intéressant pour comprendre l’action de l’État français dans ses possessions ultramarines. En vertu d’un régime très particulier qui a vu la moitié des autochtones devenir des citoyens français quand les autres restaient des « sujets indigènes », cette possession lointaine échappe au traditionnel clivage citoyens versus sujets. Si la question de l’exercice effectif des droits politiques a déjà été partiellement analysée, ce n’est pas le cas d’un autre vecteur de la citoyenneté : l’école. Alors que les intérêts de la « mission civilisatrice », et en particulier l’impératif de francisation linguistique de ces nouveaux citoyens français, commandaient l’extension de l’obligation scolaire à Tahiti, elle ne sera adoptée localement qu’en 1897, au terme de deux décennies de débats qui éclairent d’un jour nouveau une tension impériale fondamentale entre la nécessité de considérer comme « égaux » ceux qui étaient, et devaient dans une certaine mesure rester, « différents ». Cet article propose de relire cette tension à l’aune des résistances à la loi métropolitaine, aussi bien du côté des colonisateurs que de celui des colonisés, en montrant d’un côté comment la logique racialiste, officiellement inopérante ici, ne cesse de refaire surface dans le texte public, et de l’autre comment le texte caché des Polynésiens ne cesse de compromettre, en pratique, l’application de la loi.
International audienceThe use of the notion of ‘decolonization’, applied to indigenous people's schooling, is somehow misleading. It refers to a certain period, namely the colonial period, which officially ended in New Caledonia in 1946, then a French colony and now a French overseas territory. It also refers to contemporary efforts to address the colonial legacy. It thus minimizes the fact that post-coloniality shaped a radically different education from its colonial counterparts. The paper aims to question this ‘problematic temporality’: though the recognition of indigenous languages and culture is an important aspect of ‘decolonization’, it might not encompass it. The paper addresses some ongoing reforms, which witness the implementation of Kanak languages in formal education and ipso facto recognize linguistic diversity as a key element for the decolonization of the New Caledonian school system: do they actually lead to a recovery of sovereignty, and what kind of sovereignty are we then talking about? The announced purposes of what constitutes a radical shift in the former French monolingual dogma are threefold: it is intended to facilitate, together with the efforts made by families, the transmission of the linguistic and cultural heritage; it is expected to improve the academic performance of those whose mother tongue is the vernacular language, by promoting their emotional and intellectual development and strengthening their linguistic skills; it is expected to favor the emergence of a renewed social bond between communities. In the light of the persistent local resistances to the recognition of Kanak languages as languages of education, the paper demonstrates that instead of being congruent, these official goals assigned to the reforms are contradictory, revealing what is really at stake when the notion of ‘decolonization’ is taken seriously
Tahiti est l’île principale d’un archipel du Pacifique Sud, la Polynésie française, lié, sous des statuts divers depuis 1842, à une République française éloignée de 16 000 kilomètres. S’ils n’ont donc pas été minorisés démographiquement, ni spoliés de leurs terres, dans les proportions que l’on connaît ailleurs, en Amérique et dans le Pacifique, les Tahitiens (environ 80 % d’une population de l’île estimée à 183 000 habitants aujourd’hui) ont incontestablement été victimes d’une politique d’assimilation qui a connu une accélération au début des années 1960, avec la nouvelle vocation de ce territoire à devenir le lieu des essais nucléaires français. Exposés plus massivement aux institutions importées de Paris (justice et école), plus urbanisés et dépendants de l’emploi salarié, les Tahitiens ont eu tendance alors à projeter leurs enfants dans un avenir francophone au sein duquel les langues polynésiennes étaient d’autant moins transmises qu’elles apparaissaient comme préjudiciables à l’intégration sociale. De fait, la déperdition d’une génération à l’autre est patente : si 52 % des 75-79 ans déclarent une langue polynésienne comme étant la plus parlée en famille, ce n’est le cas que de 17 % des 15-19 ans en 2012.En réaction à l’ambition souvent hégémonique de la langue et de la culture françaises, et pour préserver ce qui peut l’être de la langue et de la culture tahitiennes, une politique visant à promouvoir cette langue et cette culture à l’école a été mise en application depuis le début des années 1980.Basée sur des enquêtes empiriques auprès des enseignants, des parents et des enfants eux-mêmes (notamment via le programme de recherche « École plurilingue outre-mer » de l’Agence nationale de la recherche française en 2008-2012 et le programme de recherche « Les langues entre l’école et la famille : représentations et pratiques linguistiques contemporaines des enfants de CM2 à Tahiti » du Ministère de la Culture français en 2013-2014), notre contribution interroge les enjeux de la complémentarité entre école et famille élargie dans la transmission linguistique et culturelle, avec une attention toute particulière pour les représentations enfantines des langues que parlent les enfants, des langues qu’ils entendent autour d’eux, et des langues qui seront les leurs plus tard.Tahiti is the main island of the South Pacific archipelago French Polynesia that has been linked since 1842 through various statutes to the French Republic, 16,000 kilometres away. And while they have never been a demographic minority, nor had their land taken away to the same extent as occurred in the Americas and the Pacific, Tahitians (about 80% of the island’s population of about 183,000 people) have incontestably been victims of a polic...
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