Une des spécificités de la nation française est son attachement profond à la République pour garantir l'égalité des citoyennes et des citoyens 1 . Contrairement à la situation dans les pays associés au multiculturalisme, l'échelle d'action de la République est systématiquement individuelle, et non collective, et ce, pour éviter que des communautés d'individus formulent des demandes à l'État en raison d'un attribut identitaire (race, religion, etc.) 2 . La légitimation de telles demandes pourrait en effet impliquer que les réponses apportées par les institutions soient discriminantes à l'égard de celles et ceux qui ne partagent pas la même identité sociale. Or, quand on interroge les processus de médiatisation, on se trouve devant un paradoxe : même si, pour garantir l'égalité, la République française refuse de reconnaître l'existence de groupes sociaux en son sein, les médias nationaux donnent quotidiennement et symboliquement corps à des collectifs déterminés par l'âge, le genre, la religion, la classe ou encore la race et produisent des hiérarchies que je me propose de mettre en question ici.Je veux notamment montrer que les médias d'information généraliste formalisent un métarécit national qui représente la France comme un territoire composé avant tout de groupes sociaux et qui valorise particulièrement ceux qui sont majoritaires en les caractérisant par une ethnicité et une moralité modèles. En parallèle, ce métarécit exclut symboliquement les minorités de la définition symbolique du « Nous » national, en associant leurs pratiques à un « régime de valeur » (Skeggs 2018 : 17) plus ou moins négatif par la description de leur « performance de genre » (Butler 2005 : 256-266). Ce métarécit consolide l'hégémonie de la masculinité, de la blanchité, de l'hétérosexualité et des classes supérieures, car il expose les groupes sociaux qui possèdent le moins de pouvoir économique, social, politique et culturel comme instaurant les plus grandes inégalités, tandis que ceux qui profitent des avantages liés aux rapports sociaux y sont donnés à voir, paradoxalement, comme les plus égalitaires. Les inégalités matérielles, c'est-àdire qui se manifestent dans le champ économique (et qui rendent compte de 1 Je remercie chaleureusement Sarah Lécossais et Nelly Quemener pour leur relecture et leurs remarques pertinentes qui m'ont permis d'améliorer considérablement le présent article. 2 Sur cette question, voir les travaux de Véronique De Rudder, Christian Poiret et François Vourc'h (2000) ainsi que de Réjane Sénac (2015).