Les dirigeants communistes polonais avaient-ils des raisons valables d'accepter d'appeler des élections semi-démocratiques en juin 1989 ou faut-il, au contraire, y voir un geste de démission plus ou moins déguisée d'un régime à bout de souffle ? La démarche de l'auteur repose sur le postulat suivant : avant de conclure à la démission du régime face aux exigences de l'Histoire (au sens historiciste du terme), voire à son « suicide politique », tâchons plus modestement d'analyser cette décision en termes de décision rationnelle. La présente étude est élaborée à partir de principes de base du paradigme sociologique du « Rational Choice ». Il s'agira, dans un premier temps, de montrer qu'il est possible de prêter de l'extérieur aux dirigeants du PZPR de « bonnes raisons » de penser que l'élection serait non seulement sans danger en ce qui concerne leur maîtrise du pouvoir mais qu'elle serait en outre profitable politiquement dans un contexte conjoncturel très contraignant. Dans un second temps, on tentera d'identifier les principales erreurs stratégiques que ces dirigeants ont commises, lesquelles erreurs, malgré leurs conséquences catastrophiques, n'en étaient pas moins « compréhensibles ». Ces erreurs consistent, d'une part, en une mauvaise évaluation du comportement ultérieur de Pélectorat polonais et, d'autre part, en une méprise sur les effets des nouvelles procédures électorales.
Au lendemain de la chute du communisme en Pologne (août 1989), les gouvernements Mazowiecki et Bielecki ont adopté une politique de libéralisation accélérée de l'économie dont les résultats bénéfiques n'ont commencé à se manifester qu'en 1992. Comme on pouvait s'y attendre, cette politique souvent dépeinte comme une thérapie de choc (on lui a d'ailleurs donné le nom de politique du « Big Bang ») a soulevé beaucoup d'opposition dès lors que s'en firent sentir les premiers effets (de nature récessionniste tel que prévu 1 . Diverses organisations syndicales sans égard à leur affiliation politique antérieure se sont mobilisées, affirmant que vraisemblablement les milieux ouvriers -en compagnie des rentiers et de tous les petits salariés -feraient les frais des réformes économiques. Plusieurs partis se sont joints aux organisations ouvrières.De nombreux observateurs cependant se sont surpris à constater que les forces d'opposition à cette politique de libéralisation accélérée ont lourdement fait usage d'arguments que l'on pourra qualifier, faute de mieux, d'arguments nationalistes. L'idée centrale qui s'est trouvée mise de l'avant pourrait se résumer comme suit : -La politique de libéralisation consiste pour une bonne part (1) à ouvrir le plus rapidement possible les frontières économiques de la Pologne aux produits ainsi qu'au capital étrangers et (2) à rembourser avec diligence la dette contractée auprès des institutions financières occidentales par le pouvoir communiste.-Une telle politique n'est pas forcément bénéfique pour le pays puisque non seulement, à 16, 1995 201 HERMÈS
Le problèmeLes travaux consacrés au destin du marxisme-léninisme en pays communiste sont légion. Pourtant, peu de spécialistes occidentaux se sont demandés comment il se fait que les régimes communistes ont conservé à cette idéologie le statut de doctrine officielle, sinon jusqu'à la fin de leur existence, du moins jusqu'à l'apogée de la perestroïka (Hollander, 1992) 1 . On ne connaît pas davantage les considérations qui ont conduit les dirigeants communistes de l'époque du « socialisme réalisé » à pérenniser le fonctionnement de l'énorme appareil de diffusion et d'encadrement idéologique mis en place à l'ère stalinienne.Il est étonnant que cette question ait retenu si peu l'attention car, peu importe que l'on considère la gouverne communiste comme étant ou non de nature idéocratique, cette diffusion massive de la doctrine marxiste-léniniste ne va pas de soi. Il est, après tout, fréquent que des régimes, à l'origine mis en place pour réaliser un « projet de société » radical, délaissent progressivement le corpus doctrinal dont ils se réclamaient autrefois sans pour autant chercher à renier leurs origines. De même, s'il est justifié de penser que les régimes autoritaires sont, presque par définition, hostiles au pluralisme des idées (tout en étant généralement convaincus de la nécessité de déployer un important effort de légitimation), il n'est pas dit qu'ils chercheront tous à paraître, sur le plan du discours, aussi conséquents par rapport à leurs origines que ne l 'étaient HERMÈS 17-18, 1995 335
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