La notion de phrase est bien connue de la plupart des usagers de la langue. Elle est néanmoins récente puisque, telle qu'elle est conçue actuellement dans la grammaire, elle n'apparaît qu'à la fin du XVIIIe siècle. Avant le XVIIIe siècle, en effet, le terme de phrase désigne, comme le souligne Seguin (1993 : 15), une « unité lexicale », « un grand mot en plusieurs tronçons ». Il convient d'ajouter à cette liste un critère d'ordre syntaxique, qui peut être dénommé catégoriel, conformément auquel une phrase est censée se centrer autour d'un verbe, ainsi qu'un critère dit illocutoire. Selon ce dernier critère, une phrase doit être associée à une modalité énonciative assertive, interrogative ou impérative, reflétant respectivement l'un des « trois comportements fondamentaux de l'homme parlant et agissant par le discours sur son interlocuteur : […] transmettre un élément de connaissance, ou obtenir […] une information, ou […] intimer un ordre » (Benveniste, 1966 : 130).Ces critères, de divers ordres, entrent immanquablement en conflit dans certains cas. Par exemple, si l'on prend en considération le critère de maximalité syntaxique, la suite Je l'aurais su, je ne serais pas venu. est constituée de deux phrases, respectivement Je l'aurais su et je ne serais pas venu, puisque le premier segment ne dépend syntaxiquement d'aucun élément du second et, inversement, le second segment ne dépend syntaxiquement d'aucun élément du premier. En revanche, en vertu du critère typographique (ainsi que du critère de démarcation prosodique, si l'on admet que le point reflète une intonation Associée à un faisceau de critères hétérogènes et plus ou moins facultatifs dans la mesure où ils sont divergents, la phrase, telle qu'elle est définie traditionnellement, aboutit à ce que Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989) nomment « une entité de catégorisation pratique », par opposition à une unité théorique, formelle. Au-delà du côté hétérogène et éventuellement conflictuel des critères, le critère typographique apparaît prédominant : il bénéficie d'un caractère d'évidence en pays de « littératie » qui se caractérise par « la pratique généralisée de la lecture-écriture, les effets d'une culture de l'écrit sur les énoncés, les pratiques, attitudes et représentations, pour un locuteur ou une communauté de locuteurs » (Gadet, 2007 : 45). On précisera en outre que ce caractère d'évidence (profitant au critère typographique et à la phrase « graphique ») se manifeste uniquement lors de la réception ou du décodage, non lors de la production ou de l'encodage. Autrement dit, la phrase « graphique » exige du scripteur qu'il devienne son propre lecteur (ce qui apparaît particulièrement problématique dans le cas d'un apprenti scripteur, tel un élève d'école primaire). Elle relève d'une segmentation de réception, plutôt que d'une segmentation de production, montrant ainsi une instabilité propre aux entités de catégorisation pratique.
La phrase dans les manuels scolaires récentsDans une perspective de transposition didactique (Chevallard, 1985), on peut...