En 1847, Nicolas Gogol (1809-1852) publia les Extraits choisis de ma correspondance avec des amis, un livre qui tranchait avec ce qu’il avait précédemment écrit. Le peintre satiriste des Âmes mortes, dénonciateur des travers de la société russe et des pesanteurs de l’appareil bureau~cratique tsariste, semblait s’y être métamorphosé en conservateur dévot. Devenu adepte d’une forme d’ascétisme, Gogol brûla en outre le manuscrit de la seconde partie des Âmes mortes, avant de mourir d’épuisement en 1852. La fin de son existence donna lieu à de nombreux commentaires. Du côté des critiques littéraires russes, on considéra qu’un auteur qui chan~geait ainsi et refusait de tenir jusqu’au bout son engagement en faveur de la réforme sociale, était forcément malade. Les psychiatres, Bajenoff et Chizh notamment, apportèrent bientôt leur caution scientifique à cette interprétation morale et pathologique. Mais après 1905 et le changement de contexte politique, la situation changea. Rejetant les théories de leurs prédé~cesseurs, les médecins de la nouvelle génération s’en prirent à leur perception de Gogol, qui n’était pas pour eux un malade, mais bien plutôt un homme de génie, brillant exemple d’une nouvelle étape du développement humain. Étudiant les diverses interprétations aux~quelles l’existence de Gogol a successivement donné lieu, cet article interroge les liens que le XIXe siècle, russe en particulier, a tissés entre génie et folie, et montre combien il est difficile de séparer l’étude des catégories psychiatriques de celles du politique et du jugement moral.
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