Cet article se veut alors l'illustration de la proposition suivante: si la linguistiquei est une partie de l'histoire de la linguistique2, sur le plan de la «matière» (au sens de Saussure, 1916), celle-ci est une partie de celle-là, sur le plan méthodologique; la première n'est pas seulement un des discours dont la seconde
PIERRE LARCHERdoit traiter: encore la seconde emprunte-t-elle à la première des méthodes d'investigation (pour un exemple, cf. Larcher, 1988) et des procédures de découverte. Autrement dit, comparaison peut être raison et les discours linguistiques du présent éclairer utilement ceux du passé. Mais si la linguistiquei fournit des «armes» efficaces à l'historien de la linguistique2, celles-ci, maniées sans précaution, peuvent se révéler, si j'ose dire, à double tranchant Autrement dit et en utilisant une nouvelle fois la terminologie de Saussure, le petit jeu des coïncidences entre «objets» trouvés dans des traditions différentes est stérile, si l'on ne prend pas la précaution élémen-taire de remonter de l'objet au point de vue qui l'a créé. Sous cette réserve, on peut alors, par un juste retour des choses, utiliser aussi bien les discours linguistiques du passé pour «questionner ceux du présent
La particule lâkin(na) vue par un grammairien arabe du XIIIe siècleMon point de départ apparent -et apparamment minuscule -est un texte très bref extrait de l'une des plus vastes sommes grammaticales du VIIe / ХШе siècle, le Sharh' al-Kâfiya (= ShK) de Rad'î 1-dîn al-Astarâbâdhî (= RDA), grammairien d'origine iranienne mort après 688 /1289 1 .Citons-le d'abord en transcription pour un éventuel lecteur arabophone ou arabisant: «wa-fi lâkinna ma&nâ istadraktu wa-ma&nâ 1-istidrâk raf& tawahhum yatawallad min al-kalâm al-sâbiq (...) fa-'idhâ quita jâ'a-nî Zaydun fa-ka'anna-hu tuwuhhima 'arma &Amran 'ayd'an jâ'a-ka li-mâ bayna-humâ min al-'ulfa farafa&ta dhâlika 1-wahm bi-qawli-ka lâkinna AAmran lam yaji.» J'en proposerai ensuite la traduction littérale suivante: «dans lâkinna, il y a le sens de istadraktu et le istidrâk a pour sens de lever l'illusion engendrée par l'énoncé précédent (...), car quand tu dis Zayd est venu chez moi, c'est comme si l'on s'imaginait que Amr est venu aussi, du fait de la familiarité existant entre les deux; aussi as-tu levé cette illusion en disant mais Amr, il n'est pas venu* 1. Je suis l'usage orientaliste en donnant ici pour les années, comme ci-dessus pour les siècles, la date hégirienne puis la date chrétienne. ШШ propose donc шш description sémantique unitaire de lâkin et lâkinna, qui, par ailleurs,p^uventiai^coiísiüfoées comme deux variantes syntaxiquement cëftditionnées d'une seule et ffiëffie'{Wticule «rectificative» -ce que représente la пбиШёй lâkin(na). Notons enfin qliè^RDA n'est ni le seul ni même le premier 174 PIERRE LARCHER grammairien à proposer une telle description de lâkin(na), même si celle-ci ne se rencontre (sauf erreur de ma part) qu'à l'époque postclassique 2 . Il est toutefois le seul, à ma connaissance, à inscrire cette description de détail dans une ...