Au Brésil comme dans toute l'Amérique latine, les récits de vies extraordinaires sont légion, si bien que l'expérience vécue de ces sociétés par l'anthropologue amène souvent à interroger la pertinence de délimiter le réel du ictif, voire du merveilleux, le supposé vrai du faux 1 , et en révèle constamment la quasi-impossibilité. La distinction entre vie ordinaire et extraordinaire est à ce titre diicile à saisir et pose question. Il est possible dans un premier temps de considérer qu'elle repose sur diférentes formes d'existence : les vies ordinaires étant associées aux vivants, tandis que les vies extraordinaires seraient perçues comme telles post mortem, et associées de ce fait aux défunts ou aux entités spirituelles. C'est la porosité entre vies supposément ordinaires et apparemment extraordinaires que cet article souhaite interroger, à la lumière de productions discursives s'inscrivant dans un univers aux frontières institutionnelles de plusieurs religions et qui se donnent à écouter dans les quartiers dits « périphériques » d'une ville du centre-ouest brésilien, Goiás.Les récits de vie dont il sera question sont d'une part ceux que des vivants, habitants et bénisseurs -spécialistes des maux du corps et de l'esprit -, énoncent au sujet de leur propre vie, et d'autre part ceux qu'ils tiennent sur certains de leurs morts et des saints catholiques. Remarquons qu'à première vue, la notion 1. C'est d'ailleurs ce qui constitue la principale source d'inspiration des écrivains se reconnaissant dans le courant artistique implanté outre-Atlantique du « réalisme magique », comme le Colombien Gabriel García Márques notamment avec son chef-d'oeuvre Cent ans de solitude.
CAHIERS DE LITTÉRATURE ORALE Des vies extraordinaires : motifs héroïques et hagiographiques -n° 80
100de récit autobiographique ne semble pas opérante ici pour qualiier une première forme d'énonciation par opposition à une seconde, d'autant que le propos ne vise pas à diférencier les deux mais plutôt à interroger les entrelacs et les résonnances établies entre elles par les narrateurs. À leur écoute, nous verrons qu'ils indiquent comment s'installe une familiarité entre les vivants et des entités spirituelles. Ils dévoileront une logique de réappropriation et de personnalisation des panthéons, non exclusive des bénisseurs. Cette logique exprime des appartenances communes entre vivants et esprits, permettant aux premiers de se situer dans le jeu quotidien des rapports sociaux, notamment dans leur dimension interraciale. À travers une analyse de la production de ces entrelacs narratifs, à la lumière de cas spéciiques, seront interrogés l'établissement de généalogies spirituelles, de valeurs socialement partagées, les enjeux mémoriels liés au passé esclavagiste ainsi que la mise à l'épreuve de récits hagiographiques reconnus par l'Église catholique. Mettant l'accent sur les liens afectifs tissés entre les vivants et les esprits, ces récits font de ces derniers des êtres extraordinaires ou, à l'inverse, révèlent et signiient de manière renouvelée l'ordinaire...