Depuis que je n'ai pas le droit Je veux un enfant dans le ventre J'aurais sûrement dû taire parfois L'envie si grande et menaçante Depuis que mes amis me mentent Qu'ils disent que je suis comme les autres Je veux un enfant dans le ventre Qu'on s'aime, qu'on ait une vie grandiose, grandiose » Les paroles de la chanteuse Pomme abordent frontalement la question de l'empêchement à procréer, en soulignant la complexité de la relation entre interdit social (« pas le droit ») et volonté individuelle (« je veux », « l'envie si grande »). Le premier exacerbe la seconde, et avive les souffrances, les sentiments de frustration et d'injustice. Dans des sociétés où l'enfant est présenté comme objet de désir, lié à de puissantes attentes d'épanouissement (identitaire, conjugal, familial, voire professionnel), rien d'étonnant à ce que les velléités de braver l'interdit et/ou d'en dévoiler l'arbitraire s'expriment avec plus d'aisance que par le passé.Dans ce mouvement de changement des sensibilités, l'omniprésence de la rhétorique contemporaine du « désir d'enfant » installe en effet l'idée d'un accomplissement individuel nécessairement corrélé au fait de devenir parent. Les processus de psychologisation et de biologisation du social s'allient d'ailleurs pour naturaliser ce « désir » : le premier popularise une culture psychologique mettant sur le devant de la scène l'ordre subjectif du désir, le second ancre dans la nature un ensemble de comportements humains, y compris la volonté de procréer. Le droit, « de moins en moins mobilisé comme contrôle des choix faits par les individus pour organiser leur univers privé » (Martin et Commaille, 2001, p. 144), participe également de cette rhétorique en reconnaissant aujourd'hui des manières nouvelles de faire famille. Relevant dorénavant de « la sphère privée », le familial et le conjugal, le « désir d'enfant » s'autonomiserait ainsi des réglementations étatiques et relèverait de choix individuels (Théry, 1993), d'où une extension du droit à la parentalité.La légitimation de ce désir de devenir parent suppose toutefois de passer par un mode de narration convenu : il doit s'exprimer au « bon moment », dans les « bonnes conditions » pour avoir le droit de se concrétiser, et relève, au bout du compte, d'un vouloir responsable dans une modernité marquée par ce processus de « privatisation de la famille » (Commaille et de Singly, 1997). De surcroît, certain×es sont pensé×es ou se pensent encore comme illégitimes à procréer et/ou à exercer leur parentalité, entendue ici comme un travail d'élevage et d'éducation des enfants, entouré de prescriptions, de devoirs, de normes et de modes de régulation étatiques ou plus diffus. Prendre pour objet les « parentalités empêchées », c'est alors saisir, par la marge, les nouveaux modes de régulation de la famille et interroger la manière dont la « politique de la famille » (Villac et al., 2002) et les entreprises de la morale familiale (Darmon, 1999 ; Lenoir, 2003) conduisent à désigner des parents, mères et pères, comme déviants ou non désirables. Les ...