Des politiques de résorption des bidonvilles sont mises en œuvre depuis le début des années 1960 à Madrid. Depuis 1999 notamment, des milliers de familles ont été relogées dans du logement public au centre de la capitale. Pourtant, plus de 10 000 personnes résidaient encore en bidonvilles en 2015. Cette persistance, loin d’être le résultat d’une faillite de politique publique, provient de la combinaison de plusieurs stratégies d’acteurs, à plusieurs niveaux de gouvernement, mettant en place diverses procédures. Parmi celles-ci, l’expulsion constitue le pilier autour duquel s’organise le relogement des familles et la gestion de l’ordre public. Mais l’expulsion peut prendre plusieurs visages, bien au-delà des interventions policières ou des vagues d’expulsion à des fins économiques : on observe des évictions plus discrètes par la mise en œuvre d’instruments sélectifs de relogement. De plus, l’expulsion résulte aussi de l’inaction publique : des pans entiers de territoires sont mis à distance de l’agenda gouvernemental pour constituer des réserves d’habitat informel capables d’accueillir des familles expulsées par ailleurs et ainsi de réguler les effets des expulsions à l’échelle régionale. Par une analyse des relations entre les acteurs, de leurs stratégies et des instruments mobilisés, l’article identifie les processus produisant de l’expulsion et leurs effets sur les populations et les territoires. D’une part les politiques de résorption produisent de l’expulsion. D’autre part, les procédures d’expulsion, aussi diverses soient-elles, constituent la base de toute politique de relogement. Cette analyse des trois faces du gouvernement des bidonvilles – résorption, inaction, expulsion – permet d’expliquer leur persistance.