La sexualité a longtemps été considérée par les sciences sociales comme un objet soit illégitime soit permettant, de la même manière que l'amour, la « mise en suspens de la force et des rapports de force » (Bourdieu, 1998 : 149). Son analyse a alors peiné à se détacher du sens commun et la sexualité a souvent pu jouer le rôle de référent abstrait, servant d'appui à la conceptualisation théorique sans véritable assise empirique (Bourdieu, 1994). Les chercheurs•se•s en sciences sociales de la sexualité soutiennent à l'inverse qu'il est indispensable de « désexceptionnaliser » son étude (Bozon, 2020), de la contextualiser dans des « scripts » (Gagnon et Simon, 1973 ;Gagnon, 2008) ou des « cadres » fondamentalement sociaux, refusant « d'interpréter la conduite sexuelle comme le résultat d'une opposition entre une pulsion sexuelle naturelle et une loi sociale, qui fonctionnerait comme principe répressif » (Bozon, 2001 : 5). Analyser la sexualité suppose alors, en premier lieu, de pouvoir en parler. L'émergence de sciences sociales de la sexualité implique ainsi la possibilité de « dire la sexualité ». Cela est d'abord nécessaire dans la situation d'entretien, enquêteur•rice et enquêté•e devant pouvoir s'exprimer à ce sujet ; mais cela l'est aussi dans les relations sociales où elle apparaît, des plus intimes à celles entre patient•e•s ou usager•e•s et professionnel•le•s (de la santé, du social ou encore de la justice) amené•e•s à l'évoquer. C'est donc aux modalités contemporaines de « dire la sexualité », tant dans les interactions sociales que dans l'enquête elle-même, qu'est consacré ce dossier. L'émergence d'un champ de recherches En 2001, terrains & travaux consacraient son deuxième numéro aux « Sexualités déviantes/sexualités militantes » (Zalio et Bastin, 2001). Les coordinateurs du numéro, de jeunes sociologues en début de carrière, notaient que le sujet du numéro s'était « naturellement imposé » et que la légitimité de l'enquête en sciences sociales sur la sexualité n'était plus à discuter. Depuis lors, le développement des travaux en sciences sociales sur la sexualité dans l'espace français s'est accéléré, comme en témoignent la constitution de réseaux thématiques au sein des associations professionnelles francophones au cours des années 2000 [1], parution régulière de numéros de revues sur la question [2], la création en 2009 de la revue interdisciplinaire Genre, sexualité & société, ou encore la publication d'articles sur la sexualité dans les grandes revues généralistes de sociologie (sans exhaustivité,