Le livre Freinet, 70 ans après. Une pédagogie du travail et de la dédicace, publié en 1998, était épuisé trois ans après sa première édition. Compte tenu du bon accueil que cet ouvrage a reçu parmi les chercheurs universitaires, ainsi que parmi les praticiens, il nous a semblé utile de le rééditer. En effet, c’est précisément d’une journée de travail qui avait réuni des chercheurs et des praticiens à l’université de Caen, en octobre 1996, que cet ouvrage est issu : il s’agissait d’un colloque organisé dans le cadre des manifestations pour le centenaire de la naissance de Célestin Freinet.
Cet article opère un retour critique sur le courant de la sociologie française de l’éducation centré sur l’évaluation socialement différentielle de pratiques scolaires induites par des «innovations», dans les années 1980-1990. Au-delà du socio-linguiste britannique B. Bernstein, que l’on peut considérer comme le pionnier de cette orientation de recherche, l’auteur distingue trois générations d’universitaires français qui ont fait exister ce courant. Si deux figures de la première génération des chercheurs de la discipline des Sciences de l’éducation (V. Isambert-Jamati et G. Snyders) ont nourri l’émergence de cette orientation de recherche, c’est avec le Suffit-il d’innover ? de G. Langouët (1985) et avec une «deuxième génération» de chercheurs que ce modèle de référence s’impose. Celui-ci est souvent durci lors de la réception des publications de recherche qu’il oriente. Il se rigidifie dans les travaux d’une «troisième génération», en même temps qu’il s’affaiblit comme modèle de référence. En reconstituant le contexte théorique, idéologique et politique de cette époque, l’auteur identifie une «faille» principale dans ce rejet indifférencié des innovations pédagogiques : l’absence de travail en vue d’une identification de différences parmi les innovations quant à leurs visées sociales et quant à leurs effets sociaux escomptés. Il analyse ensuite les raisons probables de cette faille. Trente années plus tard, le contexte théorique et idéologique s’étant modifié, l’auteur évoque «un renouvellement épistémologique» caractérisé par des travaux pluri-disciplinaires en équipe ou en réseau, qui intègrent la variable des intentions pédagogiques et des pratiques professionnelles de l’enseignant dans son rapport à la division sociale, s’attardent sur les processus d’appropriation des contenus de savoir par les élèves, et qui restaurent la question de la construction des inégalités éducatives, en conjuguant entre eux des cadres épistémologiques multiples.
Parmi les initiatives pédagogiques novatrices, la pédagogie Freinet, forgée dans les années 1920 et 1930 et retravaillée continûment depuis, est une pédagogie pérenne grâce – en particulier – à un fonctionnement en « intellectuel collectif » du mouvement qui la porte. Au-delà de l’inscription critique des instituteurs militants et militantes de cette pédagogie à l’intérieur de l’École française (ce qui constitue une originalité forte de son positionnement), son influence sur l’ensemble de l’École publique française et ses essaimages dans l’ensemble du champ éducatif sont moins avérés. Méthodologiquement, l’identification des transmissions et des influences dans ce champ ne va pas de soi tant la circulation des idées et des pratiques emprunte des circuits complexes. Un travail sur les instructions officielles de l’École publique française, sur la composition des grandes commissions pédagogiques, sur l’histoire des lieux de formation des enseignants ou encore sur quelques supports de la presse pédagogique permet cependant de cerner des influences portées. Le moment législatif du Front Populaire et du ministère Jean Zay constitue l’un de ces moments forts, d’autant que la hiérarchie intermédiaire de l’Éducation nationale soutient, ici et là, les multiples animations faites par Célestin Freinet. Si le moment la Libération constitue un « rendez-vous manqué » pour la pédagogie Freinet (mais pas tout à fait pour l’Éducation nouvelle), le moment de l’ouverture du premier cycle de l’enseignement secondaire au plus grand nombre offre, au début des années 1960, l’occasion d’une nouvelle reconnaissance de cette pédagogie pour l’encadrement des élèves en difficulté dans l’enseignement secondaire, avec la création des « classes de transition » : dans les textes officiels et dans les institutions de formation. Dans cette même dynamique, qui tient la pédagogie Freinet comme une sorte de recours pédagogique légitime pour les enfants en difficulté scolaire, celle-ci a imprégné les pratiques dans « l’enseignement spécialisé » de l’enseignement primaire français (comme l’a montré L. Bruliard). Au-delà, on peut penser que l’épisode de « la Rénovation pédagogique » des années 1970 a emprunté à ce courant pédagogique, mais au prix d’un « affadissement », puis d’une « évaporation » comme après chacun des moments de diffusion. On peut dater de la Loi Jospin de 1989, et de quelques textes des ministères Lang (1992) et Bayrou (1993), les dernières références partielles à une pédagogie empruntant aux principes de l’Éducation nouvelle, d’où une défiance et un raidissement accrus des militants Freinet vis-à-vis des autorités hiérarchiques de l’École.
scite is a Brooklyn-based organization that helps researchers better discover and understand research articles through Smart Citations–citations that display the context of the citation and describe whether the article provides supporting or contrasting evidence. scite is used by students and researchers from around the world and is funded in part by the National Science Foundation and the National Institute on Drug Abuse of the National Institutes of Health.
customersupport@researchsolutions.com
10624 S. Eastern Ave., Ste. A-614
Henderson, NV 89052, USA
This site is protected by reCAPTCHA and the Google Privacy Policy and Terms of Service apply.
Copyright © 2025 scite LLC. All rights reserved.
Made with 💙 for researchers
Part of the Research Solutions Family.