Résumé Cet article retrace et compare l'histoire de la formation professionnelle universitaire des enseignants du primaire et du secondaire durant le XX e siècle en Suisse, à la croisée des aires culturelles germanophones et francophones. Il met en lumière et discute trois tensions inhérentes au processus d'universitarisation : 1) entre les différentes instances concernées par la définition des cursus de formation ; 2) autour de la nature des savoirs de référence qui fondent la profession ; 3) par rapport à la division interne de la profession entre les niveaux d'enseignement primaire et secondaire.* Rita Hofstetter, Bernard Schneuwly, Valérie Lussi Borer, ERHISE (Équipe de recherche en histoire des sciences de l'éducation), université de Genève.Mots-clés : formations professionnelles universitaires, enseignants du primaire, enseignants du secondaire, savoirs de référence, sciences de l'éducation.Dès la fin du XIX e siècle, la plupart des pays européens envisagent la possibilité de confier à l'université la formation professionnelle des enseignants du primaire et du secondaire. Quelles sont les attentes, controverses, contradictions qui président à ce mouvement et permettent ou non sa concrétisation ? Qui en sont les principaux protagonistes et quelles positions défendent-ils ? En quoi cette « universitarisation » viset-elle et contribue-t-elle à la « professionnalisation » des métiers de l'enseignement ? Et quels sont les savoirs de référence que ces métiers privilégient pour se constituer comme « profession » ? Comment s'articulent l'évolution de ces formations et celle des sciences de l'éducation, devenues champ disciplinaire de référence des problé-matiques éducatives ?Cet article présente le cas de la Confédération helvétique, pays qui compte sept universités et vingt-six systèmes éducatifs cantonaux autonomes situés à la confluence d'aires culturelles différentes, en particulier germanophone et francophone. Il s'appuie d'une part sur une recherche collective historique (Hofstetter et Schneuwly, 2007 ;Lussi Borer, 2008) ; d'autre part, sur les restructurations récentes qui ont conduit à rattacher ces formations au réseau tertiaire (niveau universitaire).L'analyse permet de dégager trois tensions constitutives du processus d'universitarisation des formations à l'enseignement, qui ne sont pas sans échos dans l'actualité internationale (Bourdoncle, 1991 ;Condette, 2007 ;Novoa, 2006). Étroitement imbriquées, nous les différencions ici pour la clarté de l'analyse : -une tension entre les instances concernées par le processus, et qui contribuent de différentes manières à définir ces formations : la profession enseignante (entendue ici comme un générique), l'administration scolaire (de fait, l'employeur, représenté pour l'essentiel par l'État) ainsi que les facultés académiques sollicitées (pédago-gie, science(s) de l'éducation, disciplines de référence de l'enseignement) ; -une tension quant à la nature des savoirs de référence qui fondent la profession (contribuant à sa professionnalisation, au sens où l'entend ...