Marginales et intimes, les pratiques de quantifications personnelles - mesures de poids, d’exercices physiques, de temps de sommeil, etc. - sont aujourd’hui promues par le développement d’outils, allant de discrets capteurs aux sites de partage de données personnelles en ligne. L’enquête qualitative auprès de personnes effectuant régulièrement de telles quantifications, avec ou sans outils sophistiqués, met en évidence trois manières principales de faire chiffre de soi : la surveillance d’un paramètre à risque, la routinisation d’une pratique jugée souhaitable et la performance à atteindre un objectif défini. Interrogeant l’efficacité de telles notations à guider en retour l’action, l’analyse montre notamment que la réflexivité chiffrée, plutôt qu’une prise de recul pour mieux se connaître, focalise l’attention sur un aspect partiel de soi et inscrit l’individu dans une série orientée, une trajectoire. Elle discute enfin la place des valeurs de référence (records, moyennes, seuils...) dans ces pratiques personnelles, une place qui apparaît d’autant plus importante avec l’usage d’outils standardisés et le partage des données en ligne.
Résumé L’article porte sur l’intérêt de la posture empathique dans la démarche ethnographique. Partant d’un cas où l’objet d’étude est « répugnant » pour le chercheur, il cherche à montrer que dans les situations où la logique des comportements indigènes apparaît opaque, l’empathie autorise la compréhension intime des émotions en œuvre sur le terrain. Pour être tenable, cette posture exige pourtant un mélange rare de proximité et de distance à l’objet, les terrains exotiques permettant davantage que les terrains proches d’en tirer parti.
Dans le cadre de cet article, nous proposons une analyse de la pratique de self-tracking (quantification et mesures de soi) dans une perspective foucaldienne, en l'apparentant à une nouvelle forme de « culture de soi ». À partir d'une enquête qualitative (observations en ligne et entretiens), nous appréhendons les mesures personnelles comme des « techniques de soi » permettant à l'individu de se surveiller et de se transformer. Si les promoteurs de la pratique voient dans les chiffres un outil d'objectivation de leurs états ou comportements, revendiquant l'exercice d'une expertise scientifique de soi, le self-tracking semble surtout lié avec l'idéologie qui fait de l'individu un entrepreneur de sa propre vie. Réflexives, ces pratiques ne sont pourtant pas toujours synonymes d'une connaissance de soi ou de capacités d'action accrues, témoignant surtout d'une tendance à considérer le « soi » comme une valeur absolue et une entité autonome.
Résumé L'article analyse la référence à deux notions l'« eurasisme » et la « géopolitique » dans le discours des militants d'organisations de jeunesse dans la Russie contemporaine. Partant du constat de la référence à ces notions chez les militants de plusieurs mouvements, il s'attache à en étudier la variété des usages et se propose ensuite de remonter en amont afin de mettre en évidence les étapes antérieures et les conditions de possibilité de cette « carrière militante ». La diffusion des notions au sein des organisations militantes apparaît liée à la trajectoire de leur principal promoteur, l'intellectuel public Alexandre Dugin. D'abord, leur pénétration dans le champ politique est largement tributaire du contexte historique autour de 1991 que l'on peut qualifier comme une « conjoncture fluide » au sens de Michel Dobry, et qui permet à l'outsider qu'est Dugin de convertir ses compétences érudites marginales, acquises au sein des cercles dissidents ésotériques, en capital politique. C'est ensuite parce que ces notions jouent un rôle central dans les « bricolages idéologiques » successifs de Dugin lui permettant de s'ancrer dans le champ politique, puis de se rapprocher du pouvoir, qu'elles se retrouvent dans le discours des deux organisations de jeunesse qu'il contribue à créer le Parti National Bolchevique (NBP) et l'Union Eurasiste de la Jeunesse (ESM). C'est enfin le succès de ces entreprises politiques et le fonctionnement du champ des organisations de jeunesse qui déterminent la diffusion des notions d'eurasisme et de géopolitique dans un large spectre de mouvements. Si les notions s'y retrouvent le plus souvent décontextualisées, et parfois critiquées, elles n'en font pas moins partie désormais du vocabulaire politique courant.
Véra Nikolski est sociologue et politiste, docteure en science politique et chercheure associée au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP-Paris). Ses travaux portent sur le champ politique russe et le militantisme radical. Un ouvrage issu de sa thèse de doctorat-National-bolchevisme et néo-eurasisme dans la Russie contemporaine : la carrière militante d'une idéologie-est actuellement sous presse aux éditions Mare&Martin.
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