Le travail de rue : accompagner les jeunes au fil de leurs aléas existentiels et quotidiens

Abstract

Après avoir posé un regard sur le besoin d’accompagnement social des jeunes plus ou moins en rupture sociale, l’article décrit comment les pratiques d’action communautaire en travail de rue permettent d’explorer « in situ » leur vie sociale et intime, puis de mettre en oeuvre un accompagnement modulé à leurs préoccupations et aspirations suivant les aléas de leur vie quotidienne ainsi que de leurs enjeux existentiels et sociaux. Cette réflexion souligne aussi les paradoxes de cette logique de l’accompagnement qui participe d’une tendance à l’individualisation de l’intervention et à l’instrumentalisation de la relation de proximité.After reviewing the social support needs of marginalized youths, this paper describes how community street work initiatives offer a means of exploring their social and personal lives in situ and of providing a form of support tailored to their concerns and aspirations and that can adapt to the ups and downs of their daily lives, as well as their existential and social issues. The paper also underscores the paradoxes inherent in the logic of this support, which follows a trend toward individualizing intervention and instrumentalizing outreach relationships

L’éducation à la sexualité en contexte d’itinérance : pour un modèle participatif, positif et inclusif

“…Pour ce qui est de la dimension de la disponibilité (Lévesque et al, 2013), les témoignages recueillis soulèvent l'importance de déployer des activités d'éducation à la sexualité qui vont à la rencontre des jeunes dans les lieux qu'elles et qu'ils occupent et investissent, comme la rue, les stations de métro, les centres d'achats et les parcs. À l'instar de certains travaux de recherche (Côté et al, 2015;Fontaine, 2013;Gibson, 2011;Ungpakorn et Rae, 2020), ce point de vue fait écho à l'importance de l'approche du travail de proximité pour les populations marginalisées, comme les jeunes en situation d'itinérance, qui se retrouvent souvent en rupture de certaines institutions, comme le milieu scolaire. Cette approche du travail de proximité, qui consiste en un « mouvement d'aller vers le territoire d'autrui » (Fontaine, 2013, p. 193), introduit un changement considérable dans la façon habituelle de penser et de réaliser l'éducation à la sexualité pour les jeunes en milieu scolaire.…”

“…Ce constat implique que les intervenant.e.s doivent sortir des ressources d'aide pour déployer une éducation à la sexualité proactive qui intègre les espaces de vie des jeunes en rupture du système scolaire. En cohérence avec le travail de proximité, l'éducation à la sexualité en contexte d'itinérance peut se traduire par une incorporation graduelle et constante des espaces publics occupés par les jeunes (Fontaine, 2013;Gibson, 2011), plutôt que de se limiter à un espace-temps confiné, comme une classe ou un local. Dans ce modèle alternatif, l'éducation à la sexualité devrait se penser comme une stratégie d'intervention extra-muros qui demande d'aller à la rencontre des jeunes en situation d'itinérance pour discuter avec elles et eux de leurs réalités sexuelles.…”

“…Il est d'ailleurs souhaité que les intervenant.e.s ne limitent pas les discussions aux risques associés à la sexualité, comme les ITSS ou la protection sexuelle, mais qu'elles et qu'ils abordent aussi les relations amoureuses et le plaisir sexuel (Côté et al, 2015;Wikström et al, 2018). Dans ce contexte, il est recommandé de recourir à des modèles d'intervention basés sur l'accompagnement et la proximité, comme le travail de rue (Fontaine, 2013;Gibson, 2011;Ungpakorn et Rae, 2020), qui tiennent compte de la globalité des expériences et des réalités des jeunes en situation d'itinérance. À l'exception de ces quelques travaux, peu d'études scientifiques sont disponibles pour comprendre, selon le point de vue des jeunes, la façon d'améliorer l'accès à l'éducation à la sexualité en contexte d'itinérance.…”

Entretenir les possibles

“…Ensuite, au-delà de la dimension morale que pose la Dans le second cas de figure, « l'aller vers » fait partie de la mission des praticiens de la relation d'aide ou du moins, ces derniers bénéficient d'une certaine marge de manoeuvre pour le faire. Bien que nous sommes entièrement conscients des spécificités de chacun de ces champs interventionnels, ce que nous entendons par « aller vers » (Adloff, 2018 ;Baillergeau, 2016 ;Mercuel, 2018) regroupe autant le travail social hors mur (Artison, 2015;Fridez, 2013;Libois et Wicht, 2004), le travail de rue (Fontaine, 2011(Fontaine, , 2013Fontaine et Richard, 1997;Masson, 2017), la pratique outreach (Baillergeau et Grymonprez, 2020;Denoncourt et al, 2000) ou encore le travail de soin à domicile réalisé par les équipes mobiles psychiatriques :…”

“…Bien que « l'aller vers » ne se résume pas à cela, dans le cadre de nos analyses, nous avons constaté qu'il va ainsi de pair avec une horizontalisation des rapports jeunes/praticiens au sens où ces derniers n'ont parfois d'autre choix que de s'inscrire dans une logique de présentisme 115 , de faire comme s'ils étaient désintéressés des jeunes afin de laisser place à des entrées en relation informelles. Les formes spécifiques que prend le travail de rue en pratique, soit le rapprochement par immersion, l'éducation aux droits, la sensibilisation, l'information, la prévention ou la réduction des méfaits, lesquelles vont varier en fonction des lieux et des publics spécifiques auxquels elles se destinent, sont à notre sens des révélateurs de cette symétrisation « simulée » des relations (Baillergeau et Grymonprez, 2020;Fontaine, 2013;Fontaine et Duval, 2003;Fridez, 2013). Effectivement, la disponibilité formerait un révélateur contemporain de certaines transformations à l'oeuvre dans l'intervention et dans les relations entre praticiens et bénéficiaires :…”